La disparition des logements abordables
Par Guy « le dénonciateur »
Guy Plante était l’un des experts ayant été appelé à collaborer au projet de recherche VABE. Il a notamment participé à l’Expo-mobile organisée à Montréal, un événement visant la sensibilisation à la réalité des personnes âgées en situation d’itinérance. Lui-même ayant une expérience vécue de l’itinérance, nous lui avons demandé de choisir une thématique selon lui importante et de nous en parler un peu. Du titre aux questions, l’ensemble de ce billet de blog relève de son cru.
Marianne : D’où vient le titre « la disparition des logements abordables » ?
Guy : Ce titre a changé plusieurs fois. Je fais présentement une « enquête » sur les maisons de chambres1 — c’est important pour moi de sensibiliser la population à ce phénomène catastrophique, entre autres causé par la spéculation immobilière.
Marianne : Pourquoi les maisons de chambres, contrairement aux logements ?
Guy : Parce que ça touche les personnes qui sont dans la rue, les personnes en situation de pauvreté. Les maisons de chambre sont les derniers refuges pour les personnes les plus démunies, ce sont les refuges les moins coûteux. Leur disparition représente le symptôme de la révolution qui se passe présentement, très rapidement, dans le marché immobilier. De manière violente, on expulse les personnes en situation de pauvreté, elles se retrouvent à la rue et elles deviennent à risque de discrimination.
Marianne : Pourquoi t’intéresses-tu à cet enjeu ?
Guy : Je suis un ancien avocat et j’ai toujours été militant pour les droits de la personne. Je viens d’une famille où j’ai connu la violence. Ça a duré jusqu’à mes 18 ans, jusqu’à ce que je rencontre une psychologue, qui m’a sensibilisé aux rapports d’exploitation et de violence. Je suis une personne indignée par les injustices et j’agis, et malheureusement, j’en subis toujours des préjudices graves. J’ai été en situation d’itinérance suite à une situation de harcèlement psychologique au travail qui a duré de 2011 à 2017. Je dirais que j’ai souvent vécu du harcelement psychologique au travail — pendant 30 ans — parce que je suis queer. La dernière fois, j’ai tenté plusieurs procédures de dénonciation, mais la gestion de l’établissement était fondée sur des processus d’intimidation. Les intimidateurs étaient des hauts placés et avaient de la crédibilité auprès du patron et du syndicat. J’ai tenté de dénoncer le fait que les relations de travail ne peuvent pas être gérées par l’employeur et le syndicat, sans intervenant externe : mais je n'ai pas réussi. Ils m’ont donné 8000$ pour que je me taise et le représentant de la centrale syndicale m’a bien fait comprendre qu’ils ne me défendrait pas et que j’avais intérêt à accepter l’entente. Donc j’ai vécu l’itinérance suite à du harcèlement — 4 ans de harcèlement. Le fait de porter plainte n’a fait qu’augmenter ce harcèlement de manière exponentielle. Au bout des procédures, j’ai perdu mon condo. C’est de cette manière que je me suis retrouvé en situation d’itinérance. Je me suis retrouvé en foyer communautaire d’urgence, mon système immunitaire était à plat. On m’a annoncé que j’avais un cancer. C’est comme ça quand on s’énerve trop.
Aujourd’hui je me considère en fin de vie. Je vais peut-être faire 10 ans, on ne le sait pas. J’ai un régime très strict. Mais j’ai plus peur de redevenir itinérant que de mourir.
Je cherche à aller dans des milieux où je vais me sentir apaisé de voir des personnes qui luttent contre l’infamie, qui luttent contre l’oppression, la discrimination, contre l’exploitation, contre le capitalisme. Je m’intéresse aux gens, je suis curieux des personnes qui luttent, qui ils sont, et là présentement je fais une enquête pour le comité logement de mon quartier.
Marianne : Merci de partager ton histoire avec nous. D’après toi, à quoi ressemble la situation en matière de logement abordable à Montréal ?
Guy : La situation du logement abordable est catastrophique à cause de la spéculation immobilière. Les propriétaires utilisent la loi selon laquelle il leur est possible de reprendre possession du logement sous prétexte qu’ils veulent y faire entrer un membre de leur famille, ou pour y faire des rénovations d’envergure, très coûteuses. Puis, ils vont demander une très haute augmentation du loyer pour se débarrasser des personnes en situation de pauvreté qui habitaient le logement auparavant, et faire rentrer des personnes plus riches qui vont leur donner plus d’argent. Ils font de l’intimidation parce qu’ils se rendent compte que ça marche : c’est difficile pour les personnes en situation de pauvreté de défendre leurs droits, de plaider le harcèlement et de le prouver. J’ai été témoin de harcèlement, de violence, moi-même j’ai été frappé par un concierge, j’ai aussi été séquestré par un concierge avec mon amoureux à l’époque. C’était de la discrimination basée sur mon orientation sexuelle. La police n'est jamais venue.
Quand j’ai fait mes téléphones, dans mon enquête, je suis tombé sur un concierge qui refusait de répondre à mes questions, parce que j’avais commencé par demander le nom du propriétaire. Il a tout de suite raccroché et m'a dit de communiquer avec lui par texto : il ne m’a jamais répondu par la suite. En plus, il criait au téléphone pour que je raccroche. Alors voilà la situation : on fait sortir les personnes en situation de pauvreté par l’intimidation, par la « rénoviction ». On fait des rénovations, et on fait sortir les gens par les moyens que je viens d’expliquer.
Marianne : Et pour une personne vieillissante qui est en situation d’itinérance, quelles sont les difficultés ou les embûches pour accéder à un logement abordable ?
Guy : Je vais donner l’exemple d’une dame qui est âgée et qui vit dans un dortoir, à l’image des foyers communautaires d’urgence. Elle faisait de l’affichage sur les poteaux, pour dire qu’elle cherchait une chambre, en toute naïveté. C’est d’une autre époque ! Je lui ai dit « mais ne faites pas ça ! Une femme qui s’affiche sur les poteaux ! C’est dangereux… ». Je lui ai expliqué, avec des intervenants du comité social de mon quartier, que la recherche d'appartement se passe sur Internet. Aujourd’hui il n’y a plus de concierges qui affichent les logements à louer sur la porte d’entrée avec un numéro de téléphone. Mais cette dame n’a jamais utilisé Internet, elle n’a même pas de courriel. Il faut partir de zéro. Les personnes âgées n’ont souvent pas de courriel, et lorsqu’elles en ont un c’est pas plus facile. Je n’ai jamais été capable de la rendre autonome par rapport à Internet. Alors une intervenante de sa maison-dortoir l’a mise en contact avec un organisme qui va la placer, contre son gré, dans une résidence pour personnes âgées. Maintenant, elle se bat pour essayer de se trouver un logement malgré toutes les difficultés et sa méconnaissance du monde moderne.
En plus, ça coûte cher d'avoir accès à un cellulaire, qui permettrait d’avoir accès à Internet ! Moi, j’ai une ligne gratuite, et je n’ai pas accès à plusieurs fonctionnalités : ça me limite. D’autres personnes plus âgées n'ont probablement même pas de téléphone. Elles peuvent décider de ne pas utiliser leur 50$ pour payer un téléphone, mais plutôt l’utiliser pour manger.
Marianne : Merci Guy, c’est super pertinent comme témoignage.
Guy : Merci d’inclure des personnes avec une expérience vécue dans votre recherche. C’est génial. Merci de m’avoir entendu.
Marianne : Merci Ă toi !
1Habitation privée destinée à recevoir des chambreurs à qui on loue une seule pièce, et qui comporte généralement une cuisine et une salle de bain communes. (Office québécois de la langue française, 2017)
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Office québécois de la langue française (2017). Maison de chambres. Dans Grand Dictionnaire
Terminologique. La Vitrine linguistique.
https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8360336/maison-de-chambres